vendredi 4 janvier 2008

Langue, culture et identité

2007 aura bien sûr été au Québec l'année ou le bobo identitaire fût redécouvert et re-gratté intensément dans les médias. Faut croire que la sémantique du "nous" revêt plus d'importance que de ramener le niveau de vie de la population québécoise à celui du reste du pays, de bien comprendre les enjeux internationaux pour mieux agir dessus ou de faire preuve de créativité pour s'assurer du bon fonctionnement de nos institutions et de notre bureaucratie.

En fait, tous ces sujets sont traités dans les médias, bien sûr, mais reste qu'une quantité phénoménale d'effort est collectivement investie pour discuter de sujets qui me semblent totalement anti-pragmatiques, non productifs et d'un niveau symbolique futile.

Prenons l'identité. Vaste sujet. Certains en font des thèses de doctorat, voire des carrières universitaires entières. Comment un sujet aussi théorique et intellectualisé peut-il autant faire les manchettes et même devenir un enjeu politique aussi prisé?

Il y a des tas de raisons pour ça mais ce n'est pas l'objet de mon présent billet. Voici plutôt quelques réflexions sur le pourquoi du fait qu'on a tort d'attacher autant d'importance dans le débat public à la langue, la culture et l'identité et a fortiori, d'y investir de l'énergie politique.

La langue
Ahhh, la beauté de la langue française! Quel fleuron de l'Humanité! Un joyau fragile à préserver à tout prix, surtout en Amérique, où elle est sans cesse soumise au joug anglophone.
Ce refrain bien connu au Québec est depuis bien longtemps élevé au statut de dogme infaillible, comme si le français était un absolu intouchable, une donnée figée, sacrée que nul se doit de remettre en question sous peine d'anathème.
Mais qu'est-ce qu'une langue? Notre ami Wiki nous dit que

Dans une perspective sociolinguistique (étude des langues dans leur rapport aux sociétés), le terme "langue" définit tout idiome remplissant deux fonctions sociales fondamentales: la "communication" (c'est au moyen de la langue que les acteurs sociaux échanges et mettent en commun leurs idées, sentiments, pensées, etc.) et l'"identification" (de part son double aspect individuel et collectif, la langue sert de marqueur identitaire quant aux caractéristiques de l'individu et de ses appartenances sociales). Par conséquent, les « langues » sont des objets vivants, soumis à multiples phénomènes de variations et les frontières entre les langues sont considérées non hermétiques car elles relèvent d'abord des pratiques sociales (par ex.: en quoi l'énoncé "La réunion est schédulée pour le week-end" ne serait-il pas du "français"?). En prenant en compte la valeur des représentations des mots en société, les sociolinguistes substituent donc le terme "langue" à ceux pouvant renvoyer à des connotations péjoratives ou dévalorisantes (ex.: "dialecte", "patois"…).

La langue n'est pas un objet fixe qui se transmet génétiquement. C'est un code transmis par l'apprentissage, y compris parmi les locuteurs de pure souche. Cette affirmation semble une évidence mais non, pour les nationalistes exaltés, le français fait partie du code génétique des québécois pure laine. Or, c'est faux.

De plus, le français de 2008 parlé au Québec a bien peu à voir avec le français de 1958 ou de 1908 et encore moins de 1708. Défendre le français est un engagement bien relatif, encore faut-il s'entendre sur quel français que l'on veut défendre!

Et je ne parle même pas des différences entre le français de France, du Sénégal ou de Belgique. On a déjà assez de différences entre ce qui se dit dans les rues de Hochelaga-Maisonneuve et d'Alma. Alors le français "standard", je regrette, mais c'est une construction bien artificielle. Le français est vivant et bien malin qui peut s'en définir comme défenseur universel. Alors imaginez une loi ou un changement constitutionnel...

Parce que non seulement on a des variantes géographiques et temporelles, mais en plus on a des niveaux de langages différents! Vouloir normaliser l'usage du français, comme le veut le PQ dans son projet de Constitution, est complètement arbitraire:

UN CONTRAT D’INTÉGRATION POUR LES IMMIGRANTS

Le projet de loi prévoit que les personnes immigrantes concluent un contrat d’intégration avec la société québécoise. Ce contrat, d’une durée de trois ans, inclut l’obligation de faire l’apprentissage de la langue française. En contrepartie, le gouvernement s’engage à fournir l’aide et l’accompagnement nécessaires pour l’apprentissage du français et l’intégration au milieu du travail.

Comment mesurer cela? Comment s'assurer que l'éventuel "test" sera représentatif, objectif? Y aura-t-il des contrôles pour s'assurer que l'apprentisage est maintenu dans le temps? Que faire des illettrés et analphabètes pure laine? De ceux qui choisissent de parler anglais à la maison, de s'assimiler? Ils perdront leur citoyenneté?

Plus on y réfléchit, moins on trouve que ça se tient. Tout cela n'est que démagogie nationaliste.

N'allez pas croire que je ne crois pas à l'importance de préserver le français. J'en parle un de qualité qui j'espère s'élève un tantinet au dessus de la moyenne des ours et j'en suis fier. Je n'ai pas l'intention de le perdre et je trouve important que mes enfants me suivent dans cette direction, donc je prend le temps de les corriger, ce qui les irrite à l'occasion. Mais cette décision est libre et personnelle et si je sens un instant que l'État veut me forcer dans cette direction, je vais me sentir bafoué dans mes droits fondamentaux et l'immolation par le feu ne sera que la seule option valable.

Je comprends donc pourquoi les non-francophones aient autant de problème avec les lois linguistiques. Si la langue touche à l'identité, ça vaut pour l'anglais, le swahili et le hindi.

Encore là, je ne suis pas contre la loi 101 et les balises qu'elle pose pour faire du français la seule langue institutionnelle de l'État québécois. C'est la prérogative de l'État de décider quelle langue sera officielle pour communiquer avec ses citoyens ou leur offrir des services. C'est une décision politique. Par contre, la ligne doit être tirée quelque part et la sphère privée doit être soustraite à l'emprise de l'État.

Que des familles entières choisissent de s'exprimer dans une langue autre que le français à la maison ou dans le quotidien n'enlève rien aux locuteurs du français. Une loi n'y peut rien!

Avant de passer plus de temps à monopoliser l'appareil étatique pour accoucher de lois futiles, inutiles et potentiellement dangereuses pour les libertés civiles, une réflexion rigoureuse s'impose.

Or, nationalisme et rationalisme s'opposent. L'idéologie nationaliste repose sur des notions subjectives comme fierté, estime de soi et identité. Impossible d'avoir un débat rigoureux sur des émotions. Or les lois ne peuvent être émotives. Il y a donc incompatibilité fondamentale entre langue, identité et culture (comme on le verra plus loin) et législation.

La culture
La langue est souvent décrite comme la clé de voûte de la culture. Il est difficile de remettre ce constat en question mais, comme pour la langue, une difficulté sémantique apparaît rapidement lorsqu'on traite des questions culturelles. Qu'est-ce que la culture?

L'UNESCO a accouché en 1982 d'une définition de la culture:

C'est pourquoi, en exprimant l'espoir d'une convergence ultime des
objectifs culturels et spirituels de l'humanité, la Conférence convient :

- que, dans son sens le plus large, la culture peut aujourd'hui être considérée
comme l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels
et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe,
outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de
l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances,

- et que la culture donne à l'homme la capacité de réflexion sur lui‑même. C'est
elle qui fait de nous des êtres spécifiquement humains, rationnels, critiques et
éthiquement engagés. C'est par elle que nous discernons des valeurs et
effectuons des choix. C'est par elle que l'homme s'exprime, prend conscience de
lui-même, se reconnaît comme un projet inachevé, remet en question ses propres
réalisations, recherche inlassablement de nouvelles significations et crée des
œuvres qui le transcendent.

Autrement dit la culture, c'est n'importe quoi.

La culture "québécoise" n'existe pas, mesdames et messieurs. Des cultures québécoises, il y en a des multitudes. Personnellement, ma culture, je la considère comme unique. Oui, j'ai des éléments culturels en commun avec des tas de gens mais mon allégeance identitaire culturelle fluctue dans le temps et en fonction des circonstances. Le fait que je parle français ne veut certainement pas dire que j'ai quelque affinité que ce soit avec mon voisin francophone qui a des intérêts totalement différents des miens, même culturelle. Peut-être est-il Témoin de Jéhovah, qu'il a vécu son enfance à l'étranger, qu'il est végétarien strict et qu'il fume des havanes? Aucune idée. Tout ce que je sais, c'est que l'identification cuturelle à un groupe donné relève largement du fantasme.

En plus, la culture évolue dans le temps, tout le temps, tous les jours. On naît avec l'ardoise culturelle vierge, une ardoise que l'on noircit constamment sans même avoir le privilège de l'effacer! Ma culture aujourd'hui est plus riche que celle d'hier et moins que celle de demain. Et j'ai même pas eu besoin du soutien bienveillant de l'État pour en profiter!

Comme pour la langue, légiférer pour protéger la culture, c'est de la frime honteuse. Une "politique culturelle"? De la masturbation intellectuelle. Ça ne vaut pas le coup de s'y attarder.

Si chacun s'affairait à s'occuper de sa culture comme il l'entend, ce serait déjà bien assez. En fait, c'est ce que tout le monde fait déjà sans en être conscient.

L'identité
Qu'ajouter de plus sur l'identité après ces constats peut-être sévères? Plus grand chose je suppose. L'identité est une notion éminemment subjective, personnelle, changeante, mouvante, opportuniste. Vouloir l'enchâsser dans quelque cadre législatif est une tâche inutile, futile, voire dangereuse car elle peut mener à un discours intolérant fondé sur l'opposition entre les groupes plutôt que sur leur rapprochement.

À proscrire, donc.